La gagnante du Saint Martins x Sophie Hallette Award 2017… c’est elle ! Tolu Cocker, étudiante dont l’univers déjà clairement affirmé est nourri de références à la black culture, rempli de jeans lacérés, de tops en résille… et de dentelle florale. La jeune femme (également illustratrice hors-pair, notamment pour Maison Margiela) a relevé le défi d’intégrer à sa collection la dentelle Sophie Hallette avec une maestria étourdissante. Conversation.
Votre projet en quelques mots…
Le point de départ a été très personnel : un questionnement sur ma propre identité. Le monde traversait une crise majeure – ras-le-bol communautaire des meurtres commis contre les Noirs, particulièrement aux Etats-Unis, relayé par un vrai désir de révolution et de solidarité à l’échelle internationale. Je me suis dit qu’il y avait des histoires que le public avait besoin d’entendre afin de mieux comprendre. Je ne crois pas à cette idée selon laquelle être noir nous définisse en tant que personne, même si, comme n’importe quelle autre classification politique ou sociale, cela peut aussi nous guider dans nos vies et insuffler un sentiment d’appartenance. J’ai voulu raconter des vies marquées par l’héritage noir, pour des individus ayant grandi dans une société occidentale. J’ai choisi quatre inconnus, à Londres et à Paris, et je les ai suivis dans leurs vies. Ayishat, Marie, Loick et Ivan ont énormément influencé la collection. Les références aux Black Panthers, au hip-hop, au genre et à la religion, tout cela vient de leurs histoires. C’est comme ça qu’est née ma collection, « Replica », une collection qui représente de vrais gens.
A propos de votre travail singulier sur la dentelle…
La dentelle est rare, précieuse, en général associée à une idée de statut et de privilège. Je voulais jouer sur deux tableaux : mettre la dentelle sur un piédestal, et en offrir une version déconstruite, montrer comment elle peut soudain délivrer un message radicalement différent. J’ai choisi de mélanger une dentelle graphique très forte et une autre plus délicate de Riechers Marescot afin de créer un contraste, et les ai teintes dans différentes nuances de bleu pour produire un effet de superposition. Pour la combinaison-robe avec traîne, j’ai utilisé la dentelle de manière délicate, combinée à du tulle, puis j’ai un peu twisté les choses en recréant un dessin que j’avais fait d’Ayishat. C’était elle en train de fumer un joint en pleine rue, un moment improvisé où elle était totalement elle-même, très à l’aise avec le vent dans ses dreadlocks. Je me souviens d’elle me disant que les gens la voyaient comme quelqu’un d’assez androgyne, alors qu’elle se sentait très féminine à l’intérieur. La dentelle capturait parfaitement cette ambivalence. Pour le jean transparent, j’ai utilisé des fils de denim qui me restaient et les ai combinés avec une dentelle emprisonnée dans du PVC. Ce look rappelle les jeans vintage des années 80-90 (une référence à Marie, qui a grandi à Paris à l’époque du groupe Salt-N-Pepa), mais sans que le denim soit le matériau principal. En donnant naissance à un jean, la dentelle devient accessible, mainstream, elle exprime la rébellion, la jeunesse, mais en même temps, si on y regarde de plus près, elle expose une certaine fragilité, à travers les motifs floraux qui apparaissent.
Le futur proche… et lointain
J’adorerais voyager et partager mon travail avec d’autres. J’aime concevoir, créer, j’aime les gens, les expériences, donc je serais tout à fait ouverte à travailler pour une maison de mode existante. Néanmoins, j’aimerais clairement avoir ma propre marque – j’ai mon propre message et ma propre histoire à raconter, donc je pense que je me dois à moi-même et aux autres d’apporter ma contribution à la société.