Neil Grotzinger, transparence(s)

Neil Grotzinger : une mode masculine sur des silhouettes androgynes. Des broderies, des transparences, de la provocation et du brio… Qu’il s’agisse de son show de fin d’études ou de son compte Instagram (@nihl.nyc), Neil Grotzinger, étudiant à Parsons, défie les codes. Nous avons eu envie de l’interroger sur son rapport à la transparence, un mot qui se conjugue, air du temps oblige, à tous les sens du terme.
Que pensez-vous de l’omniprésence de la notion de transparence, dans la mode, mais aussi ailleurs (finance, politique, nourriture, cosmétique…) ?

Je pense que la transparence s’est imposée dans le vocabulaire actuel en raison de systèmes politiques aujourd’hui tellement soumis aux mensonges et à un jargon incompréhensible qu’il est très difficile de voir la vérité. Que cela concerne la mode ou pas, ça a un lien avec la manière dont j’ai utilisé la dentelle dans ma collection. Je voulais démystifier l’image masculine, en prenant des archétypes masculins clairement définis et en les transformant en leur homologue féminin. Une des pièces de la collection, par exemple, est un maillot de lutte en dentelle transparente, brodé de cristaux Swarovski. Dans ce cas précis, si l’archétype était un symbole de l’athlétisme masculin, je voulais que son homologue soit quelque chose comme de la lingerie. L’idée était d’utiliser la transparence pour exprimer cette ligne fine entre la manière dont nous percevons une chose, et le potentiel qu’elle a de devenir au travers de transformations subtiles.
La transparence aujourd’hui, c’est aussi cette manière dont beaucoup s’exposent sur les réseaux sociaux… Pensez-vous que votre travail soit lié à cet air du temps bien spécifique ?

Dans un sens, oui, je sentais qu’il devait y avoir un certain niveau d’exposition, car l’intention était d’exploiter des séparations symboliques. Cette collection évoque la construction de l’identité masculine, donc je sentais que s’il y avait des parties qui étaient laissées vides, ça rehausserait le sentiment de quelque chose construit en surface.
Le choix de la transparence dans un vestiaire masculin est assez inhabituel. Etait-il purement esthétique, ou faut-il y voir un manifeste (politique, avant-gardiste…) ?

C’était en réalité plus un choix politique qu’esthétique. Chaque décision en termes de design prise tout au long de la construction de cette collection a été basée autour de l’idée de révéler les qualités fictives de la masculinité. La dentelle transparente était la base parfaite pour certains vêtements car non seulement c’était une page blanche, mais elle dégageait aussi une incroyable connotation féminine. Construire dessus avec des broderies était un moyen de gommer cette féminité, ce qui explique pourquoi la plupart des broderies sont liées à des détails emblématiques de l’habillement masculin. Si je travaillais sur un t-shirt, par exemple, je rebrodais à la main les côtes et partout où vous vous attendriez à voir un point de surjet. A d’autres endroits, néanmoins, la broderie avait pour but de créer des zones d’exposition uniques sur des vêtements transparents, afin que seulement des parties très spécifiques du corps soient montrées. Dans ce cas-là, l’intention était de révéler le corps masculin d’une manière dérangeante, afin de repousser les limites de ce que l’on considère comme socialement acceptable au sein de la mode masculine.
La transparence est souvent associée au fait de trop montrer. Comment avez-vous réussi à maintenir vos silhouettes élégances ?

Je voulais que mes pièces présentent un équilibre un peu fragile entre l’élégance et le côté flagrant. Dans la plupart des cas, j’avais réellement l’intention d’en révéler trop, et j’ai délibérément choisi d’exposer des parties du corps que l’on pourrait considérer comme inappropriées. L’élégance de chaque pièce a fini par surgir assez naturellement des matériaux et de la silhouette. La plupart des vêtements archétypes sur lesquels je travaillais étaient déjà très raffinés, et les dentelles de Sophie Hallette sont toujours incroyablement élégantes. C’était donc juste une question de savoir jusqu’où je pouvais aller en termes d’exposition ou de crudité sans perdre l’élégance naturelle des matériaux.